Duchesne et Houle avaient mis la table…

RIO DE JANEIRO — Le cuissard maculé de sel, Michael Woods avait la mine basse lorsqu’il a retrouvé ses coéquipiers Antoine Duchesne et Hugo Houle après la course. « Sorry, guys », a-t-il lâché. Ceux-ci avaient manœuvré impeccablement pour lui, mais le leader de l’équipe canadienne n’avait pas les jambes, hier. Sur un parcours aussi cinglant, l’Ontarien n’avait plus aucune chance.

Après plus de six heures et demie de course dans une touffeur extrême, Woods a franchi la ligne au 55e rang, longtemps après l’arrivée triomphale du Belge Greg Van Avermaet, brillant médaillé d’or de l’épreuve sur route des Jeux olympiques de Rio.

« Tu n’as pas à t’excuser », a tout de suite corrigé Duchesne, dont la course s’était terminée quelques heures plus tôt, comme celle des deux tiers des 144 partants. Avec son ami Houle, il s’est employé à couver et ravitailler Woods durant les 150 premiers kilomètres, qui n’ont pas été de tout repos.

Parti de Copacabana, le peloton devait d’abord franchir quatre fois un circuit bosselé et pimenté par une courte section pavée. Ce mini-Paris-Roubaix s’est transformé en festival du bidon éjecté et du déraillement de chaîne. 

« Les pavés n’étaient pas difficiles, mais il y avait énormément de trous et de crevasses et on rentrait là-dedans à plus de 60 km/h. »

— Antoine Duchesne

Le vent qui soufflait de la mer ne faisait qu’ajouter à la difficulté. Les trois Canadiens s’en sont tirés sans dommage. Ce sont même eux qui se sont pointés en tête de peloton à l’approche du circuit final et de sa terrible montée, le Vista Chinesa, une face de singe de presque neuf kilomètres qui s’étirait longtemps dans les sous-bois.

Déposé parfaitement en troisième roue, Woods s’est accroché au groupe des favoris durant le premier tour avant d’« exploser complètement » au deuxième passage. L’athlète d’Ottawa, un ancien demi-fondeur converti sur le tard au vélo, a vécu la « course la plus dure de [sa] vie ».

« Aujourd’hui, j’ai réalisé un rêve, mais je voulais aussi obtenir un top 10 et peut-être même une médaille.

Je sais que si j’ai des jambes, je suis capable de le faire, mais ce n’était pas une journée pour moi. »

— Mike Woods, 12e de la dernière Flèche wallonne

Houle aurait aimé accompagner son coéquipier plus longtemps, mais il s’est vite résigné. « La montée était extrêmement raide, a raconté l’athlète de Sainte-Perpétue. C’était dur, je n’avais pas le bon braquet, mais de toute façon, je n’avais pas les jambes pour suivre, honnêtement. »

Les deux Québécois sont rentrés tranquillement vers la ligne d’arrivée. Duchesne a rejoint ses parents sur la plage pour suivre la fin de la course les deux pieds dans la mer.

« Je n’aime jamais abandonner une course, mais avec tout le travail qu’il y avait à faire, avec une si petite équipe, c’était presque impossible de finir pour un gars comme moi. »

Au côté des Duchesne, un groupe de Polonais, dont le coureur Maciej Bodnar, se rongeaient les sangs en regardant Rafal Majka tenter désespérément de résister au retour de Van Avermaet et du Danois Jakob Fuglsang. Plus tôt, dans l’ultime descente casse-cou du Vista Chinesa, Majka avait évité la double chute du Colombien Sergio Henao et de l’Italien Vincenzo Nibali, qui avait provoqué la sélection finale avec ses compatriotes Aru et Caruso dans l’avant-dernier tour.

La médaille d’or semblait promise au grimpeur polonais. Mais Van Avermaet et Fuglsang, qui se sont extirpés d’un petit groupe de sept, ne l’entendaient pas ainsi. Le suspense a duré jusqu’à 1,5 km de l’arrivée. Le Belge, spécialiste des classiques, a facilement réglé le grimpeur danois au sprint, tandis que Majka, pris de crampes, enrageait derrière.

Avec ce titre olympique, le premier en 20 ans pour un athlète belge, Van Avermaet se débarrasse pour de bon de l’étiquette d’éternel deuxième qu’il traînait encore il n’y a pas longtemps. Maillot jaune et gagnant d’étape au dernier Tour de France, le cycliste de 31 ans a signé la plus belle victoire de sa carrière.

« Quand je l’ai vu partir dans l’échappée, je me doutais qu’on ne le reverrait pas de sitôt, a souligné Duchesne. Mais le voir tenir dans un col comme ça, c’est une belle surprise. C’est un beau coureur, très offensif et avec beaucoup de panache. J’aime voir des coureurs gagner de cette façon. » Il n’était pas le seul.

Hugo Houle : « On n’est pas des bêtes de cirque »

Fracture de la clavicule pour Vincenzo Nibali, collision avec un poteau pour l’Australien Richie Porte, visite dans une rigole pour le Britannique Geraint Thomas : la descente du Vista Chinesa s’est révélée aussi hasardeuse que prévu. Même le fringant Français Julian Alaphilippe est tombé avant d’aboutir au quatrième rang. Le spectacle n’a pas plu à tout le monde. « Je ne suis pas super enchanté à l’idée de faire des parcours où on peut se tuer à tous les virages, a commenté Hugo Houle. C’est bien beau à la télé, mais combien de gars sont rentrés dans des poteaux, des arbres ? À un moment donné, il faut mettre des limites. On n’est pas des bêtes de cirque non plus. Il faut donc trouver un équilibre. » Houle reprend la compétition mercredi avec le contre-la-montre individuel, où il vise une place parmi les 15 premiers.

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